Heurts et malheurs de la régulation au pays de « Jeposedeuxetjeretiensun »

Dans un excellent rapport sur « La crise bancaire et la régulation financière », publié en 2009, passé malheureusement trop inaperçu et oublié depuis, le Conseil Economique, Social et Environnemental faisait en ces termes une analyse très pertinente de la crise :

«Cette crise est le résultat de la rencontre de dysfonctionnements économiques, techniques, d’organisation, de contrôle, d’affectation de moyens etc. avec des comportements par lesquels beaucoup d’acteurs, au profit de leur intérêt individuel (qui a pris le pas sur l’intérêt général), sont allés à la limite extrême de ce que permettait la régulation et de leurs responsabilités » […], rappelant par ailleurs que « la qualité du contrôle interne, même améliorée, ne dispense en aucun cas les autorités de s’assurer de l’efficacité des contrôles des régulateurs. En effet, les évènements récents ont montré que l’État est le garant en dernier ressort et qu’en conséquence, il doit exiger des fonctionnements sains et donner aux régulateurs les moyens de vérifier le système ».

L’assemblée soulignait également avec beaucoup de clairvoyance et de nuance : « il est classique qu’en réponse à toute régulation, les acteurs de marché cherchent à élaborer des réponses techniquement sophistiquées afin de s’affranchir des contraintes ainsi posées. Tout arbitrage réglementaire profitable sera aussitôt utilisé par les professionnels. Les régulateurs et les acteurs de marché font ainsi une course à la créativité qui ne peut être freinée que par le dialogue et la recherche de consensus entre eux. Sans écarter l’instauration éventuelle de nouvelles lois, le Conseil économique, social et environnemental estime qu’il conviendrait d’abord d’appliquer mieux celles qui existent et surtout de rendre effectives et coordonnées les règles posées ainsi que le fonctionnement des instances de contrôle. Il faut se garder de succomber à la tentation de régulations excessives qui accentueraient encore la crise ou nuiraient à l’efficacité du système ».

Valable pour la France, cette analyse l’était tout autant pour le reste de nos partenaires financiers et notamment certains d’entre eux.

Aucune nouvelle déclaration de ceux-ci depuis leurs interventions au récent Forum économique de Davos qui s’est achevé il y a 10 jours.

Et pourtant, il convient de mesurer toute la portée de leurs propos eu égard à la défiance qu’ils constituent à l’encontre de la régulation, comme s’en est largement fait l’écho Audrey Fournier, journaliste au Monde.

James Dimon, CEO de JPMorgan, a notamment regretté qu’un excès de régulation des banques empêche les membres du G20, de se concentrer sur la croissance et l’emploi … (une intention louable).

Gary Cohn, President & COO de Goldman Sachs, a indiqué que le renforcement des contraintes sur les banques était susceptible de déclencher une nouvelle crise en déplaçant les activités financières vers les fonds alternatifs ou vers d’autres produits moins régulés … (une anticipation lucide)

Vikram Pandit, CEO de Citigroup, a évoqué la menace d’une « finance de l’ombre» en plein développement … (sûrement un aveu d’impuissance).

Quant à Peter Sands, directeur de Standard Chartered, il s’est lui étonné que « des régulateurs qui existaient avant la crise croient désormais qu’ils ont toutes les solutions » … (un constat très clairvoyant).

Quelle étrange sensation de vivre à « Jeposedeuxetjeretiensun »,  cette ville de l’Etat d’Apodidraskiana, aux Etats-Unis, sortie de l’imaginaire de Thomas Love Peacock (in « Crotchet Castle »,1831 – Voyages au pays de nulle et part et d’ailleurs)

Ses habitants viennent de pays divers. Leur héros, Thimoty Encaisse-Et-Disparaît, est un banquier Londonien au nom prédestiné, qui s’est enfui en emportant la caisse. Très respecté par ses pairs pour s’être échappé les poches garnies, il est maintenant propriétaire d’une grande partie de la ville et imprime la monnaie de l’Etat. Il vit avec son assistante Vole-La-Caissière, dans une somptueuse villa bâtie par des esclaves.

Les groupes les plus prospères de la cité sont les pécheurs méthodistes et les fabriquant de billets de banque. Des volontaires aux yeux bandés, les régulateurs, contrôlent les octrois de la ville, assistés de juges qui font respecter les lois. Des lois qui ne manquent pas d’originalité puisque les juges peuvent en effet être amenés à parier sur les procès qu’ils tranchent.

Gilles Bouchard – CEO